Le lapin, un sujet qui fait couler plus d’encre que de bateaux

5 février, 2021 par
Le lapin, un sujet qui fait couler plus d’encre que de bateaux
Clémence Vollaire
 
Imprévisible, difficile à maîtriser, la mer a longtemps été considérée comme un espace dévolu au malin. Un terrain fertile pour l’installation de superstitions au fil des siècles. Ainsi, sans fondement scientifique, embarquer un lapin ou juste évoquer son nom à bord porterait la poisse. On est bien dans le domaine de l’irrationnel. Mais d’où vient exactement ce tabou du lapin qui persiste encore aujourd’hui ?

De la théorie du lapin rongeur de cordes et d’étoupe…

A l’époque où on embarquait des lapins pour s’en nourrir pendant les longues traversées, certains, échappés de leurs cages, auraient alors rongé les cordages arrimant les marchandises dans les cales. Celles-ci, ballotées au gré des vagues, auraient endommagé la coque ou même fait chavirer des navires.

Une explication fort probable, tout comme celle des lapins rongeurs d’étoupe, cette filasse trempée dans le goudron qui servait à calfater les coques. Sans parler de l’urine des lapins, dont l’acidité aurait elle aussi participé à une dégradation précoce de l’étoupe.

Ajoutons à ces faits la capacité de reproduction exceptionnelle des lapins. Le « garenne », oryctolagus cuniculus, est capable de faire jusqu’à cinq portées de douze petits par an. Ainsi, deux lapins, mâle et femelle, dans des conditions optimales, peuvent se retrouver à plus de 500 au bout d’un an ! Des denrées qui pouvaient aussi virer en véritable fléau à bord.

OK, toutes ces explications tiennent la route. Mais pourquoi les rats, souvent présents à bord et tout aussi habiles rongeurs et reproducteurs que les lapins, n’ont pas souffert de la même réputation ? Explorons d’autres pistes. 

… à la théorie du lapin fornicateur

Encore aujourd’hui, ce tabou du lapin chez les marins est si ancré dans la tradition maritime qu’il ne laisse personne indifférent. L’anthropologue Michael Houseman, chercheur au CNRS, y a consacré une vingtaine de pages dans la revue d’Ethnologie Française (Puf, 1990). Et voici, dans les grandes lignes, ce que nous pouvons retenir de ses recherches.  

Le lapin ou l’incarnation du malin

Le tabou du lapin – valable aussi pour le lièvre – chez les marins s’enracinerait dans le symbolisme judéo-chrétien. Leur gueule bifide, fendue en deux comme une langue de serpent, leur prétendu hermaphrodisme et leurs fornications fréquentes les ont, dès l’Ancien Testament, catalogués parmi les espèces qui incarneraient le malin. Mais ce n’est pas tout  ! 

La gestation du lapin et le cycle lunaire 

La gestation des léporidés dure environ 28 jours… Tiens donc ? Comme la lune et le cycle féminin… Par cette analogie au cycle lunaire, dans le prisme des sociétés de cette époque – un poil misogyne, on vous l’accorde –, le lapin incarnait à bord la femme en période de règles, synonyme d’impureté, voire de putréfaction. Eh oui, il n’était pas dans les usages que des femmes en période de règles se rendent dans des caves, des saloirs, ou à proximité de… bancs de poissons au risque de gâter la marchandise. Attendez, ce n’est pas fini.


Les léporidés et le sexe féminin 

« L’interdit du lapin est à mettre en relation avec un autre tabou maritime bien connu : celui de la femme » affirme Michael Houseman. Et, plus précisément, celui du sexe de la femme. Les Romains ont adopté le terme d’origine ibérique cuniculus, « trou », pour désigner cet animal si habile en construction de réseaux souterrains. La bête à grandes oreilles a ensuite été nommée connil en vieux français, terme qui a ensuite donné le fameux con de la femme. Pour des raisons probables de puritanisme, le terme de lapin, provenant de lepus, lièvre, petit mammifère, a été introduit à partir du XVIe siècle. CQFD. 

Trop de symboles féminins pour des bateaux chargés d’hommes 

« Evocateur du sexe féminin et de sexualité débridée », voilà le verdict du pauvre lapin. Juste coupable de perturber les équipages 100% masculins embarqués pour des mois de navigation…

Alors que la place des femmes dans le nautisme ne fait plus débat aujourd’hui, preuve à l’appui avec la participation record de navigatrices au Vendée Globe 2020, peut-être serait-il temps de briser le tabou ? Vous voilà en tout cas en possession d’un sujet croustillant pour accompagner votre civet mijoté à bord ! 

Et vous, vous préférez parler TEMO ou lapin à bord de votre bateau ? ;-)


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Clémence Vollaire 5 février, 2021
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